Ces dernières semaines, les cours du pétrole ont connu des baisses historiques. Une évolution qui n’est pourtant pas prédite par la règle de Hotelling, une équation proposée en 1931 qui reste aujourd’hui centrale en économie des ressources naturelles. Dans un article publié le 7 mai 2020 dans le Canadian Journal of Economics, les économistes Roberto Ferreira da Cunha, du Berkeley Research Group, et Antoine Missemer, du CNRS, présentent les résultats d’une enquête historique inédite dans les archives de Harold Hotelling. Ils démontrent que cette « règle » n’a en fait pas été conçue pour l’examen des marchés énergétiques. Plus largement, leur étude interroge les instruments théoriques mobilisés pour aborder les enjeux énergétiques et environnementaux.
Dans un article de 1931, l’économiste et mathématicien américain Harold Hotelling publiait un modèle visant à décrire l’évolution des prix d’une ressource non-renouvelable. C’est à la suite du choc pétrolier de 1973 qu’il connut un regain d’intérêt : le théoricien de la croissance Robert Solow nomma « règle de Hotelling » l’équation initiale de cet article, ce qui l’érigea en principe fondamental de l’économie des ressources non-renouvelables. Or, les prix observés depuis un siècle n’ont jamais suivi cette équation 1 , ce qui n’a cessé d’interroger les économistes.
Malgré tout, la règle de Hotelling garde, encore aujourd’hui, son statut central en économie des ressources minérales et énergétiques : c’est sur sa base que sont construites des « extensions » plus sophistiquées permettant de mieux rendre compte des réalités du marché. Roberto Ferreira da Cunha, du Berkeley Research Group (Brésil), et Antoine Missemer, chercheur CNRS rattaché au Cired, Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CNRS/Cirad/AgroParisTech/Ecole des Ponts ParisTech), ont procédé à un examen détaillé et inédit des archives de Harold Hotelling 2 . En analysant les origines du modèle, ils concluent que son périmètre de validité est plus restreint que ce qui est habituellement établi, et ils éclairent de façon décisive les raisons de ses faiblesses empiriques.
Les brouillons de Hotelling, mais aussi sa correspondance, avec des ingénieurs pétroliers par exemple, conduisent à une relecture de l’article de 1931. Il apparait que la « règle », imaginée dès 1924 pour des actifs abstraits, n’avait aucunement vocation à être appliquée au cas concret des ressources minérales et énergétiques. Hotelling lui-même a identifié, de 1925 à 1930, des contraintes géologiques indépassables changeant son résultat initial : l’augmentation du coût de production à mesure que l’extraction progresse, ou encore le coût résultant d’une accélération de la production. Comme il l’a esquissé, cela transformait son modèle, alors potentiellement capable de décrire des trajectoires de production « en cloche », comme celles utilisées dans les débats sur le pic pétrolier.
Les deux chercheurs montrent ainsi que si la règle de Hotelling passe si difficilement l’obstacle des tests empiriques dans le domaine des ressources énergétiques et minérales, c’est parce qu’elle n’a pas été faite pour cela ! Ils proposent de rebâtir les modèles utilisés dans le domaine en prenant comme point de départ une règle de Hotelling alternative, plus en phase avec les réalités géologiques. Plus largement, ce travail interroge les instruments théoriques mobilisés aujourd’hui pour aborder les enjeux énergétiques et environnementaux. L’histoire, en l’occurrence ici l’histoire de la pensée économique, est susceptible de porter un regard neuf sur des outils considérés comme bien établis, mais méritant toujours d’être questionnés.
Ces travaux ont été menés dans le cadre du projet Bifurcations in Natural Resource Economics (1920s-1930s), financé par la European Society for the History of Economic Thought (ESHET).