VIH et hépatite C chez les personnes qui consomment des substances par injection : les salles de consommation limitent les pratiques à risques

La politique française de réduction des risques de transmission des virus du VIH et de l’hépatite C chez les personnes qui consomment des substances par injection inclue notamment l’accès aux seringues stériles et à des salles de consommation à moindre risque (SCMR). L’évaluation de l’efficacité des premières SCMR déployées en France en 2016 a été confiée à l’Inserm par la Mission interministérielle de lutte contre les conduites addictives. Dans ce cadre, une équipe de chercheuses et de chercheurs de l’Inserm, du CNRS, de l’EHESS, de l’Université de Strasbourg, d’Aix-Marseille Université et de l’Université de Bordeaux, grâce à des entretiens avec les usagers de drogues participant à la cohorte Cosinus, a évalué l’efficacité des SCMR sur la réduction des pratiques à risques - et en particulier du partage de matériel d’injection. Leurs résultats montrent une diminution de 90 % du risque de partage de matériel entre les personnes ayant accès aux salles de consommation et celles ayant accès à d’autres types de structures de réduction des risques. Ces travaux parus dans Addiction confirment l’intérêt des SCMR dans la lutte contre les transmissions infectieuses et invitent à renforcer le dispositif existant.

Chez les personnes qui consomment des substances par injection, le partage de matériel comme les aiguilles ou les seringues est un des principaux facteurs de risque de transmission des virus du VIH et de l’hépatite C. En France, la mise en place de programmes de réduction des risques liés à la consommation de substances (associée à l’accès aux antirétroviraux des personnes séropositives) a grandement contribué à la réduction de la prévalence du VIH chez les usagers de substances (de 40 % en 1998 à 11 % en 2011). En revanche, l’épidémie d’hépatite C, elle, reste incontrôlée avec 64 % des usagers séropositifs en 2011.

Les salles de consommation à moindre risque (SCMR) - aujourd’hui dénommées « haltes soins addictions » - permettent aux usagers de pouvoir consommer dans de bonnes conditions d’hygiène et de sécurité, avec un accès facilité à du matériel d’injection stérile à usage unique, sous la supervision d’un personnel formé. En plus d’orienter les usagers vers les services sociaux et médicaux adaptés, elles permettent l’accès aux traitements dits « par agoniste opioïde » (TAO) [1] et offrent la possibilité de se faire dépister sur place pour l’hépatite C. De précédentes études ont montré dans plusieurs pays que ces SCMR se présentaient comme un moyen efficace de réduire les pratiques à risque des consommateurs de substances injectables, de diminuer les injections réalisées dans l’espace public, de casser les chaînes de transmissions infectieuses et de prévenir les overdoses.

Dans le cadre de la lutte contre l’épidémie d’hépatite C, le gouvernement a mis en place en 2016 pour une durée test de 6 ans, deux SCMR ouvertes aux plus de 18 ans, à Paris et Strasbourg. La Mission interministérielle de lutte contre les conduites addictives a confié à l’Inserm l’évaluation de leur efficacité en matière de santé et tranquillité publiques.

Une équipe de recherche impliquant des chercheuses et des chercheurs de l’Inserm, du CNRS, de l’EHESS, de l’Université de Strasbourg, d’Aix-Marseille Université et de l’Université de Bordeaux, a travaillé à évaluer l’impact des salles de consommation en France sur le partage de matériel d’injection et sur l’accès aux tests de dépistage de l’hépatite C et aux traitements par agonistes opioïdes grâce à la cohorte française Cosinus incluant 662 usagers de substances par injection (illégales ou médicamenteuses) (voir encadré). Grâce à des questionnaires, les chercheurs ont pu comparer les données déclaratives obtenues entre les participants ayant accès à une SCMR (36 % des participants) et ceux ne bénéficiant pas de ce type d’infrastructures mais ayant accès à d’autres types de structures ou programmes de réduction des risques (64 %).

Alors que plus de 25 % des participants déclaraient être infectés par l’hépatite C, les résultats de cette étude montrent que 1 % des participants ayant accès aux salles de consommation déclaraient être susceptibles de partager leur équipement d’injection contre 11 % de ceux n’ayant pas accès à ces lieux. « Cela représente une diminution de 90 % du risque de partage de matériel par les SCMR, déclare Marie Jauffret-Roustide, chercheuse Inserm et co-autrice de ces travaux, ce qui montre que, dans le contexte de soin français, ces lieux auraient un impact positif sur les pratiques à risque infectieux de VIH et d’hépatite C. »
En revanche, aucune différence significative entre les deux groupes n’était visible sur le dépistage de l’hépatite C ni sur le suivi d’un traitement par agoniste opioïde. « Cela peut s’expliquer par le fait que le modèle de soin français permet de proposer désormais systématiquement un dépistage de l’hépatite C dans les lieux de réduction des risques, précise Perrine Roux, chercheuse Inserm qui co-signe la publication. De plus, s’il existe un large accès aux TAO dans notre pays, selon notre étude, les personnes qui accèdent aux salles de consommation à Paris sont très nombreuses à utiliser des sulfates de morphine sans prescription, ce qui n’est pas encore considéré officiellement comme un TAO : cela pourrait donner un résultat sous-évalué pour les salles de consommation », ajoutent Marc Auriacombe et Laurence Lalanne, médecins et co-auteurs de ces travaux.

L’étude, en cohérence avec des travaux antérieurs, montre que la précarité, l’utilisation de stimulants (en particulier le crack) et les injections quotidiennes sont des facteurs associés aux pratiques à risque d’infection au VIH et à l’hépatite C. Déclarer être atteint par l’hépatite C était également associé avec le fait de partager le matériel d’injection ; une association qui n’est pas retrouvée ici chez les personnes séropositives au VIH, mais qui pointe l’intérêt de la mise place des programmes de limitation du partage de matériel pour contrôler l’épidémie d’hépatite C. « Nos résultats plaident pour l’importance de mettre en place des actions complémentaires à celles déjà existantes, pour mieux lutter contre les transmissions virales au sein de la communauté des personnes qui consomment des substances. En particulier, développer les haltes soins addictions mais également faciliter l’accès à des traitements par agonistes opioïdes plus diversifiés et proposer des prises en charge globales », conclue Marie Jauffret-Roustide. Elle invite également à continuer le suivi de ces personnes afin de confirmer l’impact positif des salles de consommation sur les pratiques à risques [2] .
Suite aux premiers travaux parus sur le sujet, le gouvernement a décidé en 2021 de créer les haltes soins addictions qui devraient combiner des lieux de réduction des risques des pratiques d’injection avec un accès aux soins (dont psychiatriques) amélioré pour une approche globale de prévention des risques pour les usagers de drogues injectables. À ce jour, aucune halte soins addictions n’a été implantée mais les résultats de la cohorte Cosinus plaident en faveur de leur mise en place.

[1] Le traitement par agoniste opioïde permet de traiter l’addiction ou trouble de l’usage aux opioïdes (héroïne, oxyodone, fentanyl...) en administrant au patient de la méthadone ou de la buprénorphine, deux opioïdes « à effet prolongé ». Là où les premiers ont un mode d’action rapide générant un « pic de plaisir » immédiat, qui contribue à l’effet addictif, les seconds agissent lentement et sans pic de plaisir. En revanche, ils protègent des effets du sevrage pendant 24 à 36 heures sans provoquer le pic de plaisir et permettent à la personne avec addiction de stabiliser son état en réduisant le craving (l’envie irrépressible de consommer) à l’origine des rechutes involontaires.

[2] C’est dans ce contexte que la cohorte Bebop, financée par l’Institut de recherche en santé publique,  va être mise en place à Paris, Strasbourg et Lyon à la fin de l’année 2023.