
Le Musée des Beaux-Arts de Rennes conserve des collections d’antiquités égyptiennes dont la momie de chat qui est le sujet d’une application en réalité virtuelle. D’où vient cette momie de chat ?
Jean-Roch Bouiller : Le musée de Rennes a cette chance d’avoir gardé sous le même toit la totalité des champs traditionnels de l’histoire de l’art, depuis l’antiquité égyptienne jusqu’à l’art contemporain, en passant par une collection importante d’arts extra-européens. La collection égyptologique est l’héritière du cabinet de curiosités du président Christophe-Paul de Robien (1698-1756) au XVII siècle, l’un des noyaux fondateurs de la collection du musée.
Comment est né ce projet de réalité virtuelle ?
Théophane Nicolas : Le projet a commencé en 2017 quand le Musée des Beaux-Arts de Rennes nous a contactés pour que nous l’aidions à faire de l’imagerie 3D de deux artefacts qu’il conservait dans ses collections : une statuette méso-américaine et une momie de chat. Initialement, cet usage de la 3D avait, essentiellement, un but scientifique. Nous nous sommes mis en relation, nous, archéologues, avec les personnes du musée et avec des informaticiens présents sur le campus de l’université de Rennes 1, en l’occurrence, des chercheurs de l’IRISA (Institut de Recherche en Informatique et Systèmes Aléatoires), V. Gouranton et R. Gaugne, spécialisés dans la réalité virtuelle et les interactions 3D. Le premier projet concret a consisté à réaliser une impression 3D en transparence de la momie, à partir d’une acquisition en tomodensitométrie. Nous avons eu la surprise de voir que cette momie de chat regroupait en réalité plusieurs spécimens et qu’à la place du crâne de chat, il y avait une pelote de fils. D’un point de vue scientifique, c’est un résultat important puisque l’on documente, conformément à la demande première du musée, le contenu de cette momie. Cela rejoint une interrogation plus générale sur la confection de certaines momies animales, si elles relèvent d’une escroquerie antique, ou si, comme nous le pensons, elles relèvent d’un usage assez répandu, une étude anglaise ayant révélé que sur 800 momies d’animaux égyptiens, un tiers d’entre-elles étaient vides.Une fois cette impression 3D réalisée, le musée s’est rendu compte qu’il disposait d’un excellent média pour rendre compte visuellement, à côté de la vraie momie, de ce qu’il y avait à l’intérieur de cette dernière. Il a ensuite été décidé, entre les informaticiens, les archéologues et la direction du musée, que l’on pouvait aller plus loin dans la médiation et monter un projet de restitution virtuelle qui expliquerait le contenu de cette momie tout en expliquant la démarche scientifique de l’archéologue. Comment aborde-t-il une momie - Comment expliquer aux utilisateurs le process de l’imagerie scientifique - Pour la mise en oeuvre de ce projet, nous avons étendu l’équipe initiale et fait appel à des collaborations avec Orange et avec une société rennaise, Polymorph, qui travaille sur ces restitutions et ces applications de réalité virtuelle. Nous avons conçu un scénario d’application qui immerge le visiteur dans un laboratoire d’archéologues, lesquels auraient à leur disposition différents équipements d’imagerie, radiologie, tomodensitométrie. Une fois cet espace scientifique établi, l’utilisateur, qui est dans l’application, va suivre en quelques minutes tout le cheminement de l’archéologue, faire une radiographie de la momie, une tomodensitométrie permettant de différencier et caractériser chaque os contenu dans la momie. Comment l’archéozoologue, détermine l’espèce - En l’occurrence, il s’agit d’os d’individus jeunes, même s’il il est impossible ici de spécifier s’il s’agit d’un chat domestique d’un chat sauvage ou encore d’un petit félin. En revanche, on a suffisamment de précision et de résolution pour déterminer chaque élément anatomique et caractériser le nombre d’individus : au moins trois ’ chats ’. Il est possible également de caractériser le fait que les os faisaient préalablement partie de squelettes mis à sécher dans l’air ambiant avant d’être fracturés pour fabriquer la momie.
Que pensez-vous de cette application, à titre personnel et en tant que directeur du musée ?
J.-R. Bouiller : Pour être totalement sincère, sans même parler de mes fonctions ici, je ne suis pas un visiteur très friand de ce genre de dispositifs, peut-être parce que je n’ai jamais vraiment rencontré de dispositif vraiment convaincant ou utile. J’ai du mal à me projeter dans ce type d’espace, soit parce que le dispositif ne fonctionne pas bien, soit parce que le rythme n’est pas bon. En outre, par déformation professionnelle ou par métier ou passion, j’ai besoin d’un rapport direct aux objets. Quand j’ai pris la direction du musée, j’ai accompagné du mieux que j’ai pu le projet, vu qu’il était très avancé, suscitait beaucoup d’enthousiasme et nous liait à de nombreux partenaires. Et malgré mes appréhensions du début, je reconnais que l’équipe a réussi à aboutir à quelque chose qui, aujourd’hui, fonctionne très bien du point de vue de l’expérience visiteur et permet vraiment de se mettre à la place de tous ces chercheurs qui ont pu se poser des questions sur la fabrication de cet objet et ce qu’il recèle. On est complètement dedans. Il y a très bon tempo dans la présentation et plein de belles inventions, comme le chat qui permet les transitions entre les différents espaces de ce laboratoire...
T. N. : Le visiteur du musée qui va expérimenter l’application de réalité virtuelle va peut-être venir parce qu’il pense faire du jeu ou voir quelque chose de joli, mais il ne s’attend peut-être pas directement à apprendre quelque chose et à n’être pas simplement contemplatif. Il peut presque manipuler physiquement la momie et interagir avec différents éléments de son environnement, prendre certains os qui peuvent l’aider à la détermination du nombre d’individus, avant de remettre la momie dans sa boîte, comme on le ferait dans un musée, avant son retour en vitrine. De cette manière, le visiteur est invité à revenir à l’objet réel pour l’observer différemment. Après cette expérience, l’utilisateur de l’application a vraiment appris quelque chose. Il sait ce qu’est une tomodensitométrie, il sait comment l’archéologue l’applique et il sait dire que cette technologie permet de révéler des choses invisibles et de manière non destructive. Et c’est là que l’on a ’ gagné ’, en termes de médiation, en mixant un usage ludique et un scénario scientifique.
Qu’apportent ces technologies aux archéologues ?
T. N. : Par définition, l’archéologue lors de la fouille tend à détruire le contexte qu’il étudie. C’est pour cela que l’on cherche à le documenter au mieux à travers des relevés, photographie, analyses des matériaux... Dans le cas de cette momie de chat, les technologies mises en oeuvre, tirées du domaine de l’imagerie médicale, ne sont pas intrusives ou invasives : on ne va pas ouvrir la momie pour voir à l’intérieur. Et en ne la détruisant pas, on fait aussi le choix qu’un certain nombre de questions resteront sans réponse, comme la date de cette momie de chat. Une datation radiocarbone nécessiterait de prélever et donc, de détruire une partie de cette momie, ce que ne souhaite pas le musée. La datation de cet objet correspond donc au contexte de découverte au XIXe siècle qui est relativement flou. D’un point de vue iconographique, nous disposons d’éléments comparables qui peuvent laisser penser que cette momie a été réalisée au IIIe s. avant J.-C., mais nous n’avons pas de vraie certitude.
à l’Inrap, si la finalité de l’application de réalité virtuelle est encore assez exceptionnelle que ce soit comme objet d’étude ou de médiation, les réalisations autour du Jeu de Paume de Rennes et le projet ’ Refuge 44 ’ nous montrent toutefois tout le potentiel de cet outils. A contrario nous utilisons de manière presque quotidienne la tomodensitométrie pour l’analyse des incinérations ou pour l’analyse des prélèvements en bloc, dont les acquisitions permettent de visualiser la structure, la composition et l’organisation interne, ou pour des dépôts, tels que ceux mis au jour par l’Inrap à Guérande.

Lire ’ Quatre dépôts monétaires médiévaux mis au jour à Guérande révélés par l’imagerie 3D (Loire-Atlantique) ’

Qu’attendez-vous de ce dispositif au musée ?
J.-R. Bouiller : Nous n’en attendons pas forcément une diffusion auprès d’un large public, puisque l’on bute sur la question du dispositif qui nécessite un accompagnement par une médiatrice. Pour autant, c’est un vrai outil de médiation qui devrait permettre de découvrir les collections autrement. Pour le musée, ce dispositif a un double intérêt. D’une part, il montre que le musée est capable, avec le concours de tous les partenaires qui se sont impliqués dans ce projet, d’offrir une expérience de médiation innovante. D’autre part, je suis assez convaincu que la médiation ne peut pas prendre qu’une seule forme et que le fait d’avoir plusieurs dispositifs différents, qui permettent d’accéder aux objets, est le plus sûr moyen de prendre tout le monde par la main. Je pense aussi à des plus jeunes visiteurs qui sont plutôt friands de nouvelles technologies qui viendront au musée par ce biais-là. Enfin, il y a la question de l’évasion, comment l’on peut rêver, faire rêver avec un dispositif comme celui-là, que l’on pourrait transporter hors de nos murs, dans des prisons, des EHPAD, tous les lieux avec lesquels le musée est lié par un partenariat pour de la médiation.Pourriez-vous me citer un autre exemple d’application de ces technologies - Quel est le champ des possibles ?
T. N. : Le champs des possibles est très étendu avec des applicatifs aussi bien pour la recherche que pour la valorisation ; l’expérience immersive éternelle Notre-Dame, qui permet de déambuler entre les murs ou sous la charpente de Notre-Dame de Paris, du Moyen-âge à aujourd’hui, comme si vous y étiez, en est un bel exemple. à une autre échelle on peut évoquer la salle de Jeu de Paume du Pélican à Rennes (Ille-et-Vilaine). L’enjeu principal de l’étude du bâti mené par E. Esnault a consisté à retrouver les dispositions anciennes de la salle, une des plus anciennes salles de jeu de paume conservées en France. Il a été permis de restituer les parties disparues et d’appréhender l’organisation primitive de l’édifice, avec ses galeries hautes et basses... à partir de scan 3D du bâtiment une reconstitution et modélisation du bâtiment tel qu’il était au XVIIe siècle, a pu être réalisée, et l’on peut expérimenter le jeu contre un adversaire virtuel en réalité virtuelle. Aujourd’hui, un simulateur de jeu de paume en réalité virtuelle plus abouti, destiné à la préservation, la promotion et l’initiation de ce sport historique est en cours de réalisation.


Squelette d’un aristocrate gaulois sur son char daté du IIe siècle avant notre ère, mis au jour à Warcq (Ardennes), en 2014.






